jeudi 12 septembre 2013

Définir et distinguer



Le travail de définition et de distinction des concepts est une part essentielle de la réflexion philosophique. Vous trouverez quelques mots sur la nature des concepts, sur leurs caractéristiques, puis une méthode et des exercices pour les définir et les distinguer. 
Vous n'avez pas à apprendre tout, mais devez savoir ce que sont l'extension et la compréhension, le rapport entre genre et espèce, ainsi que ce que sont des conditions nécessaires et des conditions suffisantes et vous devez faire les exercices.


    I. Les concepts

      I.1. Qu'est-ce qu'un concept ?
Nous devons dire quelques mots sur les concepts avant d'expliquer en en quoi consiste le travail de définition et de distinction.

Un concept est : (def.) le plus petit élément d'un jugement. Dans ce sens, les concepts sont comme les atomes de la pensée. Une pensée est une combinaison de concepts.

Un concept identifie un type de choses. Nos concepts nous permettent de classer les choses en les regroupant selon les propriétés qu'elles possèdent en commun.

On s'est très tôt demandé si les concepts sont des entités purement mentales ou des aspects des choses :


« En ce qui concerne les genres et les espèces : subsistent-ils en eux-mêmes ou ne sont-ils contenus que dans les pures conceptions intellectuelles, sont-ils des substances corporelles ou incorporelles ; sont-ils séparés enfin des choses sensibles ou y sont-ils impliqués, y trouvant leur circonstance? Je me garderai de le préciser; c'est un problème très difficile nécessitant des recherches approfondies. »
Porphyre, Isagogè


Trois grandes positions philosophiques se sont disputées par rapport à ce problème appelé la « querelle des universaux » :

  1. Le nominalisme : les concepts généraux ne sont que les façons dont nous utilisons les mots. Si le nominalisme a raison, les définitions servent à se mettre d'accord sur les mots. Elles permettent donc de se mettre d'accord sur ce que l'on dit et de dissiper les malentendus et de « construire » des essences artificielles pour nos théories.

  2. Le conceptualisme : les concepts généraux existent dans notre esprit. Si le conceptualisme a raison, les définitions servent mettre de l'ordre dans nos pensées et de s'accorder avec la structure de notre esprit.

  1. Le réalisme : les concepts généraux renvoient à des propriétés réelles des choses. Si le réalisme a raison, les définitions énoncent l'essence des choses.


      I.2. Compréhension et extension

Les concepts se définissent par leur extension et par leur compréhension :

L'extension est : (def.) l'ensemble des choses auxquelles le concept s'applique. Définir le concept d'homme en extension, c'est faire la liste de tous les êtres humains : {Pierre, Marion, Paul, Gérard, Julie, etc.}

La compréhension est : (def.) l'ensemble des propriétés que possèdent en commun les choses auxquelles le concept s'applique. Définir le concept de célibataire, c'est énoncer les propriétés caractéristiques des célibataires : êtres humains non-mariés.


    1. I.3. Genres et espèces

Les concepts entretiennent des liens logiques, ils sont organisés dans des classifications. Pour classer les concepts, on parle de « genres » et d' « espèces ». Un genre est un concept dont l'extension est plus grande et la compréhension plus simple. Une espèce est un concept dont l'extension est contenue dans l'extension d'un genre et dont la compréhension est plus complexe.

Par exemple :
Genre
Espèce
Arbre
Véhicule
Chêne, Tilleul, Cerisier, etc.
Vélo, Train, Voiture, etc.


  1. II. Comment définir et distinguer les concepts ?


Une définition bien formée obéit à trois règles1 :

  1. non-circularité : le terme défini n'entre pas dans la définition

  2. adéquation extensionnelle : la définition correspond à toutes les choses auxquelles le terme défini s'applique et uniquement à l'ensemble de ces choses

  3. adéquation intensionnelle : la définition doit énoncer les propriétés caractéristiques de la chose définie


      II.1. Par genre commun et différence spécifique


Selon Aristote, la définition doit donner le genre commun et la différence spécifique. Pour définir un terme, il faut donc procéder en deux temps :

  1. Remonter au genre auquel il appartient, c'est à dire au concept d'extension supérieure.
Par exemple :
Concept de départ
Genre
Table
Évolution
Action
Meuble
Transformation
Mouvement


  1. Énoncer la propriété qui caractérise l'espèce et qui délimite l'extension du concept aux seules choses qui possèdent cette propriété.

Par exemple :
Concept de départ
Genre
Différence spécifique
Table


Evolution

Action
Meuble...


Transformation...

Mouvement...
consistant en un plateau soutenu par plusieurs pieds

graduelle

volontaire



Une distinction conceptuelle montre généralement le genre commun à deux concepts et leurs différences spécifiques. Par exemple : l'opinion irréfléchie et la connaissance sont toutes les deux des croyances, mais l'opinion peut aussi bien être vraie que fausse et n'est pas justifiée tandis que la connaissance est à la fois vraie et justifiée.

On peut aussi distinguer deux concepts en montrant que l'un est une espèce de l'autre pour dissiper un amalgame. Par exemple : la superstition est une espèce de croyance basée sur une justification irrationnelle, mais toutes les croyances ne sont pas des superstitions.




Exercice 1 : trouvez le genre commun et la différence spécifique des termes « piano », « égoïsme » et « illusion »



Exercice 2 : distinguez, en montrant leurs différences spécifiques, les concepts : « pouvoir légitime / tyrannie », « liberté / licence », « opinion / connaissance ».



      II.2. Conditions nécessaires et conditions suffisantes

Un bon moyen pour trouver le genre et l'espèce qui définissent un concept est de trouver ses « conditions nécessaires » et ses « conditions suffisantes ».


        II.2.1. Conditions nécessaires


N est une condition nécessaire de P si N est vrai lorsque P est vrai.

Autrement dit : pas de P sans N.

Exemples :

Si on peut skier (P), alors il y a un sol glissant (N).

Si x est une connaissance (P), alors x est une croyance (N).


      II.II.2. Conditions suffisantes


S est une condition suffisante de P si P est vrai lorsque S est vrai.

Autrement dit : S garantit P.

Exemples :

Si la neige fond (P), alors la température est supérieure à 0°c (S).

Si x est vrai (S), alors x est une connaissance (P).



        II.II.3. Conditions nécessaires et suffisantes


C est une condition nécessaire et suffisante de P si P est vrai lorsque C est vrai et si P est faux lorsque C est faux.

Autrement dit : P si et seulement si C

Exemples :

Le quadrilataire ABCD est un losange (P) si et seulement si les diagonales de ABCD se coupent en leur milieu et sont perpendiculaire (C).

Gérard est célibataire (P) si et seulement si Gérard est un être humain et qu'il n'est pas marié (C).

x est une connaissance (P) si et seulement si x est une croyance vraie justifiée (C).



Exercice 3. Dites si l'expression C entre crochets est une condition nécessaire, suffisante, nécessaire et suffisante ou ni nécessaire ni suffisante.

  1. [S'il pleut] (C), alors l'herbe est mouillée.
  2. Pour être électeur, il faut [avoir 18 ans] (C).
  3. Le résultat de l'opération est juste si et seulement s'[il est égal à 4] (C).
  4. Pour être libre, [il faut être responsable de ce que l'on fait] (C).
  5. [Si un acte réalise un choix] (C), alors cet acte est libre.







1Engel et Dutant, Philosophie de la connaissance, Vrin

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