jeudi 11 avril 2013



Le bonheur


Être heureux signifie aimer sa vie, c'est à dire en être satisfait. « La satisfaction intérieure est en réalité ce que nous pouvons espérer de plus grand. » Spinoza, Ethique IV, Proposition LII, scolie

A partir de quand aime-t-on sa vie? Il y a d'abord différents types de bonheurs répartis selon leur durée : il peut s'agir d'une expérience épisodique (le bonheur de l'instant), d'un état continu (le bonheur durable) ou d'un idéal à atteindre (le bonheur idéal).

Le bonheur de l'instant est accessible, on peut dire que c'est ce qu'on appelle communément « passer un bon moment ». Un bon moment est seulement passager, une fois qu'il est passé, on retrouve des moments difficiles des peines, des déceptions, des frustrations, des malheurs. En règle générale, on considère ces moments comme des épisodes exceptionnels. Mais peut-on apprendre à les rendre moins exceptionnels ? Le problème consiste à installer le bonheur dans le temps : ne pas le limiter à un moment exceptionnel, mais en faire un état continu.

Se pose alors la question de l'accès au bonheur : peut-on y arriver par nos propres moyens ou est-ce que le bonheur ne dépend pas de nous (mais plutôt de la chance) ? Est-ce que le bonheur dépend de choses qui améliorent notre vie ou ou plutôt d'une façon de vivre ou d'une certaine perspective sur sa vie ?

D'autre part, on peut se demander s'il suffit d'aimer sa vie ou s'il ne faut pas aussi que sa vie soit aimable : si quelqu'un est heureux parce qu'il se fait des illusions, est-ce que son bonheur est désirable ? Il s'agit de savoir 1) si le bonheur se décrète de façon purement subjective ou s'il y a aussi un bonheur objectif, et 2) si le bonheur est une condition suffisante pour une vie désirable.



      I. Le bonheur de l'instant

Le bonheur peut signifier un moment de joie qui n'est pas simplement un sentiment particulier comme le plaisir de manger son repas, mais plutôt un ensemble de sentiments de plaisir et de joie suffisamment bien combinés pour constituer une expérience exceptionnelle, d'une qualité supérieure aux plaisirs et aux joies ordinaires, comme le bonheur d'un repas entre amis. Le bonheur se remarque par contraste avec le quotidien : c'est un moment que nous prenons particulièrement plaisir à vivre.
Dans ce sens, le bonheur ne se vit qu'à travers des instants ou des épisodes de durée limitée. Le bonheur est essentiellement lié à l'instant présent.
Tout d'abord, il s'éprouve au présent, il ne suffit pas d'avoir été heureux ou de prévoir d'être heureux pour l'être actuellement, même si les bons souvenirs et les espérances peuvent nous rendre heureux au présent, ils n'existent que dans l'expérience présente.
Si l'on cherche le bonheur ailleurs que dans le présent, on tombe dans le paradoxe de la recherche du bonheur : en cherchant le bonheur, on pense au passé et à l'avenir et on ne peut plus être heureux de l'instant présent. Celui qui est heureux en pensant au passé ou à l'avenir n'est heureux que dans ses pensées, s'il ne fait qu'attendre d'être heureux ou penser au bonheur passé, il ne se met pas dans les conditions pour être heureux au présent, au contraire, en cherchant le bonheur dans le passé ou dans l'avenir, on s'empêche d'apprécier le présent.

  « Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l'avenir. Nous ne pensons presque point au présent ; et, si nous y pensons, ce n'est que pour en prendre la lumière pour disposer de l'avenir. Le présent n'est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.»

PASCAL, Pensées, (Ed. Brunschvicg, 172).


Dans ce texte, Pascal nous dit que nous ne savons généralement pas apprécier le présent. Nous sommes faits de telle sorte que nous sommes sans cesse en train de penser au passé et à l'avenir et à nous détourner du présent. Le bonheur suppose donc de s'opposer à cette tendance et de prendre une attitude qui permette d'apprécier le présent. Cela suppose :

  1. de prendre conscience du fait que le bonheur ne peut exister que dans l'instant présent, comme le dit Goethe dans Faust, « le présent seul est notre bonheur », et

  2. en tirer les conséquences : arrêter d'espérer ou de se souvenir. Pour être heureux, il faut s'installer dans l'instant présent et savoir l'apprécier. Cela suppose de suivre un précepte éthique bien résumée par la formule d'Horace : « carpe diem » (« cueille le jour »), ce qui peut être développé ainsi « arrête de penser au passé ou à l'avenir et vis bien l'instant présent ».

Mais c'est là qu'un gros problème éthique se pose : comme bien vivre l'instant présent ? A cette question, deux attitudes s'opposent : celle du jouisseur et celle de l'homme tempérant. Le premier cherche les expériences de plaisir les plus intenses, il cherche des épisodes de plaisir, et le second cherche une attitude qui rende heureux sur le long terme, il cherche une disposition constante à apprécier l'instant. Ces deux attitudes sont confrontées dans le Gorgias de Platon à travers Calliclès et Socrate.

« Vois si ce que tu dis de ces deux vies, la tempérante et la déréglée, n’est pas comme si tu supposais que deux hommes ont chacun un grand nombre de tonneaux ; que les tonneaux de l’un sont en [493e] bon état et remplis, celui-ci de vin, celui-là de miel, un troisième de lait, et d’autres de plusieurs autres liqueurs ; que d’ailleurs les liqueurs de chaque tonneau sont rares, malaisées à avoir, et qu’on ne peut se les procurer qu’avec des peines infinies ; que l’un de ces hommes ayant une fois rempli ses tonneaux, n’y verse plus rien désormais, n’a plus aucune inquiétude, et est parfaitement tranquille à cet égard : que l’autre peut, à la vérité, comme le premier ; se procurer les mêmes liqueurs, quoique difficilement, mais que, du reste, ses tonneaux étant percés et gâtés, il est obligé de les remplir sans cesse jour et [494a] nuit, sous peine de s’attirer les derniers chagrins. Ce tableau étant l’image de l’une et de l’autre vie, dis-tu que la vie de l’homme déréglé est plus heureuse que celle du tempérant ? Ce discours t’engage-t-il à convenir que la condition du second est préférable à celle de l’autre, ou ne fait-il aucune impression sur ton esprit ?
CALLICLÈS.
Aucune, Socrate ; car cet homme dont les tonneaux demeurent remplis ne goûte plus aucun plaisir, et il est dans le cas dont je parlais tout-à-l’heure, il vit comme une pierre, dès qu’une fois [494b] ils sont pleins, sans plaisir ni douleur. Mais la douceur de la vie consiste à y verser le plus qu’on peut.
SOCRATE.
N’est-ce pas une nécessité, que plus on y verse, plus il s’en écoule, et qu’il y ait de grands trous pour ces écoulements ?
CALLICLÈS.
Sans doute.
SOCRATE.
La condition dont tu parles n’est point, à la vérité, celle d’un cadavre ni d’une pierre, mais celle d’une cane. »


Socrate fait une analogie entre les désirs du tempérant et de l'intempérant et des tonneaux.  Le vide des tonneaux représente le manque, l'insatisfaction du désir. Le tempérant est celui qui limite ses désirs (une limite est une interdiction que l'on s'impose, quelque chose qui peut ressembler à "stop, j'arrête de trop boire / trop manger / désirer des histoires d'amour impossibles / des voitures de luxe / du succès, etc. , ça me rend malheureux")

L'image des tonneaux étanches représente les désirs limités de l'homme tempérant : les parois du tonneau sont comparables aux limites des désirs. Selon Socrate, des désirs limités sont faciles à satisfaire comme les tonneaux étanches sont faciles à remplir, donc la limitation des désirs garantit plus facilement le bonheur (compris comme satisfaction globale). L'image des tonneaux percés représente les désirs de l'intempérant : des désirs illimités sont impossibles à satisfaire durablement comme les tonneaux percés sont impossibles à remplir durablement, l'intempérant risque donc d'être toujours insatisfait et de ne pas être heureux.

La réponse de Calliclès à Socrate peut être interprétée ainsi : l'insatisfaction de l'intempérant est largement compensée par le nombre et l'intensité supérieurs des plaisirs qu'il éprouve. 

L'argument deCalliclès ne prend en compte que le plaisir : plus on a de plaisirs, plus on est heureux. L'argument de Socrate prend en compte le plaisir et le désir qui l'accompagne : en multipliant les plaisirs, on multiplie aussi les désirs et l'insatisfaction va avec eux.

      II. Le bonheur durable


Le problème soulevé par Socrate à propos de la vie intempérante est le suivant : en satisfaisant tous ses désirs sans limite, on peut jouir de l'instant, mais on se crée des ennuis pour le futur. On ne se met donc pas en condition de prolonger le bonheur au delà de l'instant. Par conséquent, on peut se créer plus de malheurs que de bonheur en cherchant le bonheur de cette façon.

Voyons des façons de concevoir et de réaliser le bonheur dans la durée. Nous étudierons deux philosophies qui considèrent que le bonheur est le plus grand bien (philosophies « eudémonistes ») celle d'Epicure et celle d'Aristote.


      II.1. Le plaisir


Une philosophie est qualifiée d' « hédoniste » lorsqu'elle identifie le bien au plaisir. La philosophie hédoniste la plus radicale est celle d'Aristippe de Cyrène, selon lui, le bonheur est (def.) une vie contenant un maximum de plaisirs. Pour lui le plaisir est uniquement une sensation agréable. Cette conception se heurte aux objections que faisait Socrate à Calliclès : en cherchant un maximum de plaisir, on risque de se transformer en tonneau des danaïdes impossible à remplir, impossible à satisfaire.

Pour éviter ce problème, on peut chercher un plaisir défini négativement comme l'absence de douleur. C'est pourquoi Épicure dit : « Nous agissons en vue d'un seul but : écarter de nous la douleur et l'angoisse. » L'état que l'on doit rechercher pour être heureux peut donc être défini précisément, c'est l' « ataraxie », c'est à dire (def.) l'absence de troubles dans l'âme et l' « aponie », c'est à dire (def.) l'absence de douleur dans le corps. Le bonheur est ainsi conçu comme une vie contenant un minimum de douleur et d'angoisse.

Pour atteindre l'état d'ataraxie il faut faire un travail sur soi-même : se libérer de ses peurs et discipliner ses désirs.

Pour se libérer de ses peurs, il faut intégrer le « quadruple remède » : « Les dieux ne sont pas à craindre, la mort n'est pas à redouter, le bien facile à acquérir, le mal facile à supporter. »

Pour discipliner ses désirs, il faut d'abord distinguer : les désirs naturels nécessaires (liés aux besoins élémentaires), les désirs naturels non nécessaires (« le désir de mets somptueux ou encore le désir sexuel », Hadot), les désirs non naturels et non nécessaires (désir illimité de richesse, de gloire ou d'immortalité).

Une fois cette distinction faite, il faut éliminer tous les désirs qui créent de la douleur et de l'angoisse. Il faut d'abord éliminer les désirs non naturels et non nécessaires parce qu'ils sont illimités et ne peuvent donc pas être satisfaits, il ne peuvent qu’entraîner la frustration et le malheur. Il faut aussi limiter les désirs naturels non nécessaires parce que, n'étant pas liés à un besoin réel, ils peuvent aussi devenir illimités et impossibles à satisfaire ou créer des passions qui nous tourmentent.

Il faut satisfaire les désirs naturels nécessaires :
  • les besoins du corps : boire et manger
  • les besoins de l'esprit : réfléchir pour vaincre les peurs
  • le besoin d'autrui : l'assistance mutuelle et le partage des plaisirs

Le bonheur se réalise ainsi dans une discipline des désirs : en ayant pour but l'ataraxie, on supprimera tous les désirs illimités qui créeraient des frustrations, on ne cherchera pas les plaisirs qui créent des douleurs ultérieures. Par contre on pourra accepter certaines douleurs dans la mesure où elles sont la condition de plus de plaisirs ultérieurs et de moins de douleurs, comme c'est le cas quand on va chez le dentiste par exemple.


L'hédonisme soulève néanmoins quelques objections :

  • c'est un bonheur entièrement subjectif. Il pourrait se réaliser à travers une illusion. Dans Le meilleur des mondes de Huxley, les gens sont heureux parce qu'ils prennent tous les jours une drogue qui les met dans un état de sérénité, mais peut-on accepter d'être heureux au prix de ne pas regarder a réalité en face ? L'expérience de pensée de la machine de plaisir de Nozick permet de nous faire une idée sur cette question : “Supposez qu’il existe une machine à expérience qui soit enmesure de vous faire vivre n’importe quelle expérience quevous souhaitez. Desneuropsychologuesexcellantdans laduperie pourraientstimuler votrecerveaude sorteque vouscroiriez et sentiriez que vous êtes en train d’écrire un grand roman, de vous lier d’amitié, ou de lire un livre intéressant. Tout ce tempslà, vous seriez en train de flotter dans unréservoir, des électrodes fixées à votre crâne. Faudraitil que vous branchiez cette machine à vie, établissantd’avanceunprogramme des expériences de votre existence?”(Nozick,
 Anarchie,
 Etatet utopie)
 Nozick précise que, une fois rentrés dans la machine, nous croyons vivre réellement les expériences simulées par la machine. Selon Nozick, la plupart des gens ne voudraient pas se brancher sur cette machine. Ce qui importe pour nous n’est pas seulement ce que cela nous fait du point de vue interne de notre expérience, mais c’est le fait de faire quelque chose. Nous ne voulons pas non plus vivre dans une simulation de vie, mais dans une vie réelle. Ceci nous montre que le bonheur suppose la réalisation de ce qui est important pour nous.

  • On peut supposer que la plupart de gens seraient satisfaits de leur vie à condition que celle ci réponde à des exigences comme la réalisation de projets ou d’œuvres importantes. Or on peut imaginer quelqu'un qui est dans un état d'ataraxie du simple fait qu'il est lobotomisé : « J’ai entendu un jour un docteur évoquer le cas de l’un de ses patients qui passait « toutes ses journées parfaitement heureux » à ramasser des feuilles. (Je crois que ce patient […] avait subi une lobotomie pré-frontale.) Cela m’a fortement impressionnée. Je me suis dit en effet : « Tiens, beaucoup d’entre nous ne passent pas “toutes leurs journées parfaitement heureux” à faire ce qu’ils font. » Puis j’ai réalisé combien il serait étrange d’imaginer que le plus aimant des pères fasse subir à son enfant préféré, parfaitement normal, une lobotomie pré-frontale. » Philippa Foot, « La vertu et le bonheur »



      II.2. L'épanouissement

Une autre façon de concevoir le bonheur dans la durée est de le concevoir comme le développement et l'épanouissement de certaines capacités humaines comme la raison, la sensibilité morale et la sensibilité esthétique. Ces capacités seraient des sources de plaisirs dont la valeur est intrinsèquement supérieure aux autres satisfactions. Comme le dit Mill :

« Peu de créatures humaines accepteraient d'être changées en animaux inférieurs sur la promesse de la plus large ration de plaisirs de bêtes; aucun être humain intelligent ne consentirait à être un imbécile, aucun homme instruit à être un ignorant, aucun homme ayant du cœur et une conscience à être égoïste et vil, même s'ils avaient la conviction que l'imbécile, l'ignorant ou le gredin sont, avec leurs lots respectifs, plus complètement satisfaits qu'eux-mêmes avec le leur. Ils ne voudraient pas échanger ce qu'ils possèdent de plus qu'eux contre la satisfaction la plus complète de tous les désirs qui leur sont communs. S'ils s'imaginent qu'ils le voudraient, c'est seulement dans des cas d'infortune si extrême que, pour y échapper, ils échangeraient leur sort pour presque n'importe quel autre, si indésirable qu'il fût à leurs propres yeux. Un être pourvu de facultés. supérieures demande plus pour être heureux, est probablement exposé à souffrir de façon plus aiguë, et offre certainement à la souffrance plus de points vulnérables qu'un être de type inférieur, mais, en dépit de ces risques, il ne peut jamais souhaiter réellement tomber à un niveau d'existence qu'il sent inférieur. Nous pouvons donner de cette répugnance l'explication qui nous plaira; nous pouvons l'imputer à l'orgueil - nom que l'on donne indistinctement à quelques-uns des sentiments les meilleurs et aussi les pires dont l'humanité soit capable; nous pouvons l'attribuer à l'amour de la liberté et de l'indépendance personnelle, sentiment auquel les stoïciens faisaient appel parce qu'ils y voyaient l'un des moyens les plus efficaces d'inculquer cette répugnance; à l'amour de la puissance, ou à l'amour d'une vie exaltante, sentiments qui tous deux y entrent certainement comme éléments et contribuent à la faire naître; mais, si on veut l'appeler de son vrai nom, c'est un sens de la dignité que tous les êtres humains possèdent, sous une forme ou sous une autre, et qui correspond – de façon nullement rigoureuse d'ailleurs – au développement de leurs facultés supérieures. Chez ceux qui le possèdent à un haut degré, il apporte au bonheur une contribution si essentielle que, pour eux, rien de ce qui le blesse ne pourrait être plus d'un moment objet de désir.
Croire qu'en manifestant une telle préférence on sacrifie quelque chose de son bonheur, croire que l'être supérieur - dans des circonstances qui seraient équivalentes à tous égards pour l'un et pour l'autre - n'est pas plus heureux que l'être inférieur, c'est confondre les deux idées très différentes de bonheur et de satisfaction [content]. Incontestablement, l'être dont les facultés de jouissance sont d'ordre inférieur, a les plus grandes chances de les voir pleinement satisfaites; tandis qu'un être d'aspirations élevées sentira toujours que le bonheur qu'il peut viser, quel qu'il soit - le monde étant fait comme il l'est - est un bonheur imparfait. Mais il peut apprendre à supporter ce qu'il y a d'imperfections dans ce bonheur, pour peu que celles-ci soient supportables; et elles ne le rendront pas jaloux d'un être qui, à la vérité, ignore ces imperfections, mais ne les ignore que parce qu'il ne soupçonne aucunement le bien auquel ces imperfections sont attachées. Il vaut mieux être un homme insatisfait qu'un porc satisfait; il vaut mieux être Socrate insatisfait qu'un imbécile satisfait. »
John Stuart Mill, L'Utilitarisme



Cette conception permet de répondre aux problèmes liés à l'hédonisme :

  • Elle voit le bonheur dans certains traits objectifs de la vie de l'individu, elle permet donc de répondre aux problèmes que pose la conception hédoniste à cause de son caractère subjectif.

  • Elle distingue des plaisirs supérieurs et permet d'expliquer pourquoi on préfère garder certaines exigences plutôt qu'accepter un bonheur facile.

Cela suppose une certaine conception de la nature humaine comme un ensemble de capacités proprement humaines, il y a là un engagement théorique sur la nature humaine qui pourrait être contesté : on peut concevoir que l'homme n'a pas d'essence (Sartre), ou on peut se méfier d'une conception de la nature humaine qui se croirait neutre alors qu'elle pourrait être influencée par notre culture.

Ces précautions préliminaires étant prises, voyons comment Aristote présente la nature humaine et à quoi ressemblerait le bonheur comme plein développement de cette nature. Pour Aristote, une espèce est définie par un ensemble de fonctions caractéristiques. Il y a des fins naturelles au sens où il y a des fonctions : chaque espèce biologique a des fonctions propres, le poisson peut vivre sous l’eau, le guépard peut courir très vite, etc. Ce sont les fins naturelles qui se suffisent à elles-mêmes : le développement de ces fins serait donc l’activité qui réaliserait des fins auto-suffisantes. ll faut donc se mettre d’accord sur la « fonction » de l’homme, sa fin naturelle, pour savoir quelle est sa nature.


Aristote va chercher la « fonction propre » de l’homme, ce qui fait son humanité. Chercher la fonction de l’homme, c’est souvent faire appel à une explication théologique en se demandant : « pourquoi l’homme est-il fait ? Qu’est-ce que le créateur attend de lui ? » Ce n’est pas comme cela qu’Aristote se pose la question, il ne cherche pas la nature de l’homme dans un ordre transcendant, mais à partir de ce qu’il a sous les yeux. Il observe les hommes et il se demande : « qu’est-ce qui les distingue des autres animaux ? » C’est donc par l’observation, et non par révélation qu’il cherche le propre de l’homme.


À travers les différents écrits d’Aristote, on trouve deux propriétés essentielles de l’humanité : l’homme est un animal politique et l’homme est un animal rationnel. Bien que les autres animaux aient des formes d’organisation sociale, l’homme est le seul qui crée cette organisation grâce à la parole. Ce qui distingue la parole humaine de la communication animale, c’est sa prétention à la vérité et à l’universalité, c’est l’exigence de rationalité.


C’est pourquoi Aristote dit que la fonction propre de l’homme est une « activité de l’âme conforme à la raison ». La raison est le propre de l’homme, l’homme se réalise donc pleinement en développant et en exerçant sa raison. Si nous avons une nature, nous avons une norme de perfection : un être humain parfait est un être qui a entièrement développé sa raison. Développer notre nature, notre humanité en développant notre raison, c’est se perfectionner, c’est être « vertueux » au sens grec de la vertu comme « perfection » ou excellence (« arètè »).


Cela le conduit Aristote à une définition du bonheur : « le bien pour l’homme consiste dans une activité de l’âme en accord avec la vertu »

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